Éric Duhaime et la Constitution québécoise : la voix la plus rationnelle dans un cirque partisan?

Dans une publication diffusée sur ses réseaux sociaux, Éric Duhaime, a livré une réflexion mesurée sur le projet de Constitution québécoise déposé par la Coalition avenir Québec (CAQ). Au moment où la CAQ semble chercher un second souffle à la fin d’un mandat difficile, et où l’opposition péquiste et libérale multiplie les coups d’éclat symboliques, le chef du Parti conservateur du Québec a livré une analyse centrée sur l’essentiel : la nécessité d’un texte fondateur rassembleur, dégagé des querelles d’égos et des surenchères idéologiques.

« La journée d’hier aurait dû être solennelle et rassembleuse, écrit-il. Elle a malheureusement dérapé en une gué-guerre partisane, indigne d’un débat sur une loi aussi fondamentale. » Pour Éric Duhaime, l’idée d’une Constitution québécoise s’inscrit dans le prolongement naturel du développement institutionnel du Québec et devrait transcender les divisions partisanes. « Que l’on soit fédéraliste, souverainiste ou autonomiste, de gauche ou de droite, l’idée de doter le Québec de sa propre constitution est bonne et s’inscrit dans le cheminement historique de la nation québécoise. »

Une posture de maturité politique

Cette position tranche nettement avec les réactions des autres chefs. Duhaime déplore notamment l’attitude du chef du Parti québécois, Paul St-Pierre Plamondon, qu’il qualifie de « le plus juvénile » parmi les leaders politiques, pour avoir choisi de boycotter la séance de dépôt du projet de loi. « Comment un parti indépendantiste peut s’opposer à un geste d’affirmation nationale aussi puissant que l’adoption d’une constitution québécoise ? Ça me dépasse ! » écrit-il, accusant le PQ de replonger dans « l’obsession d’un troisième référendum perdant ».

L’intervention de Duhaime se distingue ici par une lucidité rare dans un débat où la plupart cherchent d’abord à capitaliser sur le symbole. En rappelant qu’une Constitution doit d’abord unir plutôt que diviser, il ramène le dialogue sur le terrain du bon sens et de la continuité historique plutôt que sur celui de la posture idéologique. À bien des égards, il occupe aujourd’hui la position la plus rationnelle sur l’échiquier québécois : ni fétichiste du référendum, ni obsédé du fédéralisme, mais partisan d’un ancrage institutionnel clair de la nation dans le cadre existant.

Il souligne par ailleurs la nécessité d’une large consultation populaire, citant favorablement la proposition du chef libéral Pablo Rodriguez d’« élargir la consultation ». Il appelle à « faire participer le plus grand nombre », « aller à la rencontre des Québécois de toutes les régions » et « permettre d’importants amendements » pour qu’un consensus réel émerge.

Le paradoxe du geste caquiste : entre solennité et cynisme électoral

Mais si l’appel à la raison de Duhaime mérite d’être salué, il ne saurait occulter les zones d’ombre qui entourent la démarche de la CAQ. En principe, l’adoption d’une Constitution nationale constitue le geste le plus solennel qu’un peuple puisse accomplir. Or, dans les circonstances présentes, le gouvernement Legault en a fait un projet de fin de règne, présenté à la hâte, sans consultation préalable et dans un climat de désillusion généralisée.

Comme je l’ai moi-même souligné dans une analyse parallèle, une Constitution n’est pas une manœuvre de rattrapage symbolique ni un instrument de communication politique. Elle doit être une colonne vertébrale du système juridique et institutionnel, définissant sobrement les principes de gouvernance, les institutions, les droits fondamentaux et les mécanismes de continuité. L’introduire à la fin d’un mandat impopulaire, sous prétexte d’un grand geste d’affirmation, frise le cynisme.

Simon Jolin-Barrette, ministre responsable du projet, a d’ailleurs reconnu ne pas vouloir que la Constitution québécoise soit « verrouillée pour mille ans », ce qui revient à admettre que ce texte pourrait être modifié par un simple vote à l’Assemblée nationale. Or, un texte constitutionnel ne doit justement pas être malléable à ce point : c’est sa stabilité qui fonde son autorité. Sans clause d’amendement rigoureuse, il s’agira d’une loi ordinaire parée du vocabulaire de la grandeur, une sorte de Constitution de convenance.

Le risque de l’alourdissement idéologique

Le problème le plus grave demeure cependant le contenu même du projet. Le texte proposé inclurait, selon les informations rendues publiques, une série d’éléments relevant davantage de l’idéologie du moment que des principes intemporels du droit constitutionnel. L’ajout du « droit à l’avortement » et du « droit à l’aide médicale à mourir », par exemple, témoigne d’un glissement inquiétant vers une forme de constitution morale ou militante.

Non pas que ces droits soient illégitimes en soi, mais leur inclusion dans un texte fondateur fige dans le marbre des choix éthiques qui devraient relever du débat démocratique ordinaire. Une Constitution ne doit pas être un catéchisme progressiste ou conservateur ; elle doit être le socle sur lequel se déploie la délibération politique, pas son substitut.

L’expérience canadienne aurait pourtant dû servir de leçon. L’insertion de la Charte des droits et libertés dans la Constitution de 1982 a produit, au fil du temps, une véritable tyrannie judiciaire, où des juges non élus se substituent à la volonté populaire. La Loi 21 sur la laïcité de l’État, pourtant appuyée par une majorité claire de Québécois, en subit aujourd’hui les contrecoups. En ajoutant des droits contingents à sa propre Constitution, le Québec risquerait de reproduire la même erreur que Pierre Elliott Trudeau : transformer un texte d’unité nationale en champ de bataille idéologique.

Une Constitution pour durer, pas pour plaire

Ce qui ressort du contraste entre la position de Duhaime et celle de la CAQ, c’est une différence fondamentale dans la compréhension du rôle d’une Constitution. Le chef conservateur y voit un instrument d’unité et de continuité, un acte de maturité politique qui transcende les partis. Le gouvernement Legault, lui, semble y voir un outil électoral, un symbole à usage immédiat destiné à rassembler artificiellement autour d’une idée d’autonomie dont la substance demeure floue.

« Si le gouvernement Legault tient effectivement à sa constitution, il devra rapidement ouvrir le débat, faire participer le plus grand nombre, aller à la rencontre des Québécois de toutes les régions », plaide Duhaime. Ces mots sonnent justes, d’autant plus qu’ils traduisent une conscience de ce que la Constitution doit être : une œuvre collective, et non une improvisation partisane.

Le Québec mérite une véritable Constitution, sobre, claire, et durable — une qui énonce nos principes fondamentaux, notre rapport à l’État et à la liberté, sans se perdre dans la moralisation des débats de société. Comme le rappelait Montesquieu, « les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires » : une Constitution trop bavarde devient inévitablement un texte instable, exposé aux passions changeantes de son temps.

Vers un consensus républicain?

Le message de Duhaime a ceci d’important qu’il refuse le piège des extrêmes : celui du fédéralisme craintif comme celui du souverainisme dogmatique. Il parle d’un Québec qui agit, non d’un Québec qui attend un hypothétique Grand Soir référendaire. Cette attitude pragmatique, autonomiste sans être isolationniste, redonne au débat constitutionnel la dignité qu’il mérite.

Mais pour que cette démarche soit crédible, il faudra que le gouvernement abandonne la tentation du « geste symbolique » pour s’engager dans une consultation réelle et profonde. Une Constitution ne se dépose pas : elle se rédige, se débat, se fonde. C’est un acte de refondation politique, pas une opération de communication.

La publication d’Éric Duhaime aura au moins eu le mérite de recentrer le débat sur l’essentiel : qu’est-ce qu’une Constitution, et à quoi doit-elle servir ?
Son appel à dépasser les partis, à s’élever au-dessus des querelles et à écrire ensemble un texte qui rassemble, représente aujourd’hui l’une des rares voix de raison dans une scène politique fragmentée.

Mais pour que cette voix soit entendue, il faudra aussi que les Québécois reconnaissent la gravité du moment : une Constitution n’est pas un « manteau » politique qu’on enfile ou qu’on retire selon la mode du jour. C’est une colonne vertébrale — et l’histoire jugera sévèrement ceux qui auront confondu le squelette d’un peuple avec un simple accessoire de campagne.

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