Dans une note économique publiée ce matin, l’Institut économique de Montréal (IEDM) met en garde contre les effets pervers de l’élargissement de la politique de partage obligatoire des réseaux de télécommunications au Canada. L’organisme de recherche estime que cette réglementation, censée favoriser la concurrence et protéger les consommateurs, pourrait à terme compromettre les investissements dans les infrastructures numériques, nuire à la qualité du service, et fragiliser l’écosystème technologique du pays.
Une politique née dans les années 1990, étendue en 2024
Introduite dans les années 1990 par le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC), la politique de partage obligatoire visait à permettre aux petits fournisseurs d’accéder aux réseaux des grandes entreprises de télécommunication à des tarifs réglementés. Cette mesure visait à briser les monopoles et stimuler la concurrence.
Mais selon l’IEDM, cette politique a été poussée trop loin. En 2023, le CRTC a étendu cette exigence d’accès à gros aux réseaux de fibre optique en Ontario et au Québec, puis à l’ensemble du pays en 2024. La mesure ne distingue pas la taille des revendeurs : elle permet donc à de grandes entreprises de revendre des services en utilisant les réseaux de leurs concurrents — y compris ceux de plus petits acteurs ayant investi massivement dans leur propre infrastructure.
Un mécanisme à double tranchant : le risque du « passager clandestin »
Gabriel Giguère, analyste senior en politiques publiques à l’IEDM et auteur de la note, explique que cette politique crée un effet bien connu en économie : celui du passager clandestin. En clair, pourquoi investir dans un réseau coûteux lorsqu’on peut tout simplement profiter de celui d’un concurrent, à un prix réduit fixé par le gouvernement?
« En rendant la propriété d’infrastructures de moins en moins rentable, l’organisme canadien de réglementation des télécommunications a freiné les investissements dans la construction et l’entretien des réseaux », résume Giguère. L’effet est déjà mesurable : ajustés à l’inflation, les investissements dans les télécommunications étaient en 2023 inférieurs de 600 millions de dollars à leur niveau prépandémique de 2019.
Et les conséquences pourraient s’aggraver. L’une des principales entreprises du secteur a annoncé une réduction d’un milliard de dollars de ses investissements prévus dans son réseau à la suite de l’élargissement de la politique — dont 700 millions dès l’année 2024-2025.
Un avertissement relayé par Québec
Même le gouvernement du Québec, dans ses consultations officielles, a exprimé ses inquiétudes : selon lui, cette politique pourrait réduire les investissements futurs, nuire à la qualité du service, et compromettre les activités des fournisseurs intermédiaires — ceux-là mêmes qui desservent les régions mal couvertes ou difficiles d’accès.
L’IEDM rejoint cette inquiétude et appelle à un réexamen urgent de la politique actuelle. Le think tank propose soit un abandon pur et simple de la politique de partage obligatoire, soit, à tout le moins, l’introduction de restrictions en fonction de la taille des entreprises revendeuses, afin d’éviter que des géants des télécoms ne puissent se comporter comme des « passagers clandestins » en exploitant les réseaux des autres.
Une critique plus large des effets pervers de la réglementation
Cette publication s’inscrit dans une série d’interventions de l’IEDM qui dénoncent l’accumulation de réglementations économiques mal calibrées. Comme le rappelait récemment Michael Sabia, PDG d’Hydro-Québec et ancien directeur de la Caisse de dépôt, lors du sommet Intersect 2025 du Globe and Mail, le Canada souffre d’un « déficit d’ambition », exacerbé par une surabondance de règles bureaucratiques qui freinent l’investissement — un diagnostic que l’IEDM partage pleinement dans ce contexte.
À propos de l’IEDM :
L’Institut économique de Montréal est un organisme de recherche indépendant en politiques publiques, fondé sur les principes de l’économie de marché et de l’entrepreneuriat. Il est actif à Montréal, Ottawa et Calgary. Ses publications, interventions médiatiques et conseils aux décideurs visent à nourrir un débat public éclairé sur des enjeux économiques majeurs.